Au Musée d’Orsay, Degas à l’Opéra
Edgar Degas était bien plus que “le peintre des danseuses”. Ses tableaux font vivre un univers entier, de la danse aux musiciens, chanteurs, abonnés… La passion du peintre pour ce monde se raconte au Musée d’Orsay en 204 œuvres, comme événement phare du 350e anniversaire de l’Opéra national de Paris.
Personne n’a peint l’Opéra de Paris comme Edgar Degas. Avec son regard sur les danseuses, bien sûr. Mais aussi sur l’orchestre, les spectateurs, les coulisses, les chanteurs… En connaissant telle Leçon de danse ou autre Danseuse nouant sa pantoufle, on peut vite avoir l’impression d’avoir fait le tour de la question, et de l’œuvre. On en est pourtant loin et le champ est plus large et plus divers que ce que l’on peut croire. Au Musée d’Orsay, l’exposition Degas à l’Opéra offre le panorama complet de cette passion, avec de nombreuses œuvres provenant de collections publiques ou privées américaines et françaises, de galeries et de divers musées européens.
Le tour du monde de Degas
L’une des raisons d’aller voir Degas à l’Opéra est donc que cette collection éphémère et internationale dépasse les collections du Musée d’Orsay qui sont ici très minoritaires. La plupart des tableaux, dessins… sont des prêts venant de Washington, Denver, Houston, Los Angeles, New York, Hambourg, Bâle, Londres, Copenhague et autres, sans oublier la contribution importante de la Bibliothèque nationale de France.
Les formes aussi sont étonnamment variées, avec les fulgurants “tableaux en long” pouvant atteindre une largeur de 90 cm sur 30 cm de largeur, à l’instar des frises du Parthénon d’Athènes que Degas affectionnait. Sans parler des dessins, des monotypes (estampes à tirage unique) et des sculptures, dont la célèbre Petite danseuse de 14 ans qui fait partie des collections du Musée d’Orsay. Mais Degas à l’Opéra offre ces petites surprises qui mettent du sel dans un propos qui, sans elles, risquerait de n’impressionner que par la quantité des œuvres réunies.
Les curieux trouvent ici des fétiches particuliers, comme ces éventails peints sur soie avec leurs rehauts d’or et d’argent qui proviennent de collections particulières restant anonymes. Le travail accompli pour réunir les œuvres, dont beaucoup ont traversé l’Atlantique, est en effet colossal. Et comme cette exposition s’inscrit dans le 350e anniversaire de l’Opéra de Paris, son centre de gravité (et de légèreté) est une immense maquette de l’Opéra Garnier, une coupe longitudinale mesurant six mètres, qui permet une autre entrée dans le sujet et révèle toute la fascination exercée par l’univers de l’Opéra de Paris.
Deux opéras : rue Le Peletier et Salle Garnier
Mais l’Opéra Garnier que nous connaissons n’est pas celui que Degas chérissait tant. Il fréquentait assidûment l’Opéra de la rue Le Peletier, détruit par le feu en 1873. À partir de 1875, année d’ouverture du Palais Garnier, il suivait les spectacles dans la nouvelle salle, place de l’Opéra, mais se projetait sans doute encore dans la maison dans laquelle il s’était épris de ce milieu humain et artistique.
Vus dans leur ensemble, ses tableaux peuvent donner l’impression qu’il pratiquait une sorte de journalisme visuel, et ce, d’autant plus qu’il peignait aussi des blanchisseuses, des repasseuses et autres femmes, vêtues ou dévêtues, dans leurs gestes quotidiens. Ce qui éclaire son regard quasiment sociologique sur les artistes et le public de l’Opéra. Et pourtant, son regard d’artiste sur les danseuses en répétition, dans leurs loges, en leçon de danse ou en examen est bien plus romancé que documentaire.
Dessins dérangeants et “orgies de couleurs”
Le fil rouge de cette exposition est donc la passion du peintre pour le microcosme d’un art au cœur de tous les débats de son époque. Si Degas donne aux danseuses une place privilégiée, la raison est à chercher dans le fait qu’elles sont pour lui le vecteur permettant d’explorer diverses techniques et approches, s’intéressant tantôt à la magie du trait, tantôt aux effets de la lumière, tantôt aux contrastes et au jeu des couleurs… En vouant un véritable culte à cet univers, Degas nous interroge sur notre relation aux mythes de notre temps, car nous savons bien que, jusqu’à nos jours, la fascination exercée par les grandes et mythiques maisons d’opéra de ce monde ne s’est jamais démentie.
Autrement dit, l’exposition Degas à l’Opéra charme par la mise en perspective de la fascination que l’institution, les artistes et le public exerçaient sur le peintre. La première des dix sections, Génétique des mouvements, s’intéresse au Degas des années 1850 et à ses études d’un geste ou d’une partie du corps, la plupart sous forme de dessins. Mais deux prêts du Musée national danois nous montrent que Degas étudiait le geste quotidien jusque dans les années 1890.
Si une autre section de l’exposition met spécialement en valeur les formes expérimentales (“tableaux en long”, éventails), d’autres sont consacrées à son regard sur le jeu de lumière à partir des éclairages, aux “orgies de couleurs” (le terme vient de Degas lui-même) où les motifs de la vie à l’Opéra donnent lieu à des expérimentations chromatiques vives et étonnantes, ou encore à ses dessins tardifs et leur “rudesse” du trait dérangeant la critique de l’époque, trait qui leur confère une dimension absolument intemporelle. Et voilà qu’en dix sections judicieusement orchestrées, l’œuvre de Degas se déploie tel un éventail.
Thomas Hahn
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